Afin de démarrer sur les chapeaux de roue une nouvelle série d’articles en rapport avec la nostalgie, prenons le temps d’effectuer quelques ancrages. Situer l’époque à laquelle nous vivons dans un contexte sociologique et nous intéresser à la notion du temps qui en découle me semble ici essentiel.
En effet, nous n’avons pas toujours perçu le temps de la même manière. Selon les théories de penseurs contemporains tels que Michel Maffesoli, on peut en effet décomposer les différentes périodes du monde occidental en trois époques distinctes, comme les a synthétisées Patrick Hetzel :
- l’époque traditionnelle, où le temps est perçu comme circulaire et où la société est tournée vers le passé. Par ailleurs, les notions de dynamique et de mobilité sont absentes.
- l’époque moderne, où le temps est perçu comme linéaire, où le progrès est au centre de l’attention, et où la société est tournée vers l’avenir.
- enfin, l’époque postmoderne, celle dans laquelle nous nous trouvons, où le temps est perçu comme linéaire et circulaire à la fois, où la société a perdu son référentiel unique (passé ou présent) et où l’on se trouve dans le domaine de la rupture entre futur et progrès. Cette époque se caractérise également par la disparition de modes de pensée unique permettant l’émergence d’utopies collectives. Les valeurs modernes de progrès et d’évolution vers un monde meilleur se sont effritées pour laisser place à des courants de pensées multiples et une société davantage atomisée et centrée sur le présent et sur l’individu.
Les changements apportés par la postmodernité sont nombreux : si on la situe comme née des crises successives durant les années 70 et de problèmes de société tels que la robotisation et l’arrivée d’un chômage massif, certains vont jusqu’à la décrire de manière très sombre. Gilles Lipovetski écrivait : « la société postmoderne n’a plus d’idole, ni de tabou, plus d’image glorieuse d’elle-même, plus de projet historique, c’est désormais le vide puissant, sans logique, ni apocalypse ».
Si cette description n’est que peu réjouissante, elle évoque bien les problèmes d’identification d’une époque à des valeurs fixes et collectives. Elle évoque aussi l’éclatement des valeurs collectives, laissant place à l’individu, libre d’afficher ses propres valeurs. L’absence de référent universel permet de convoquer les valeurs du passé sans que celles-ci ne soient jugées « ringardes ». Laissant la voie libre à la mode vintage et autres oldies en tous genres.
D’un point de vue historique, l’époque traditionnelle s’est poursuivie jusqu’à l’avant- guerre, l’époque moderne concerne l’après-guerre jusqu’aux années 80, et l’époque postmoderne débute dans les années 80 et poursuit son cours aujourd’hui.
Si l’on synthétise graphiquement l’évolution des perceptions du temps, on obtient les schémas suivants :

Que ce soit vis-à-vis de la crise, des tendances sociologiques ou dans un contexte plus global, il est clair qu’un point essentiel se dégage : la perte de repères, aussi bien du côté de valeurs telles que la confiance et l’engagement que du côté de la perception de l’avenir et du temps en général. Les perspectives s’avérant néanmoins de plus en plus sombres, on assiste bel et bien un retour à des valeurs traditionnelles ou se rattachant au passé en général, car plus rassurantes. Ce phénomène ne relève cependant pas uniquement de la nostalgie pure, qui est davantage l’apanage de la société traditionnelle. Non, dans ce cas, on parle plutôt de néostalgie.
Sinon, vous pouvez vous contenter de l’explication maison de Moe, « It’s weird for the sake of weird » (« bizarre pour être bizarre »).