our cette seconde partie consacrée à la stratégie marketing de Monoprix, prenons un exemple concret : la boite de haricots verts, car cet article se prête très bien à une analyse poussée. Nous allons voir que la substitution du l’image au texte est, au-delà de l’originalité graphique, profonde de sens.
(NdNXF: Ce texte a été rédigé en 2011 pour les besoins d’une étude entreprise par LCS. Rendons à César ce qui appartient à César, les derniers paragraphes sont les siens)
Analyse d’une boite de haricots verts
Avant d’aller plus loin, il faut rappeler la théorie qui a entièrement conditionné notre façon d’appréhender la réalité : celle des Idées de Platon, le père de la pensée occidentale. Pour Platon, il y a 3 degrés de réalité
Pour l’expliquer, il prend l’exemple du lit. Il en existe trois sortes :
- tout d’abord, l’idée du lit, son concept: celui dont découle tous les lits possibles. Ce lit n’existe pas matériellement, simplement spirituellement. C’est la seule véritable réalité du lit (car chez Platon, le Vrai, le Beau, le Bon, se situent uniquement au niveau du Concept).
- le deuxième degré est le lit matériel, le vôtre, le mien, celui dans lequel tout un chacun se couche. C’est l’incarnation physique de l’idée du lit. Mais ce lit (le votre, le mien ou n’importe quel autre lit), n’est qu’un exemple, il n’est donc pas à même de représenter toutes les formes de lits possibles. Il n’est donc qu’une partie de la vérité. Il est donc éloigné d’un degré de la « vraie réalité », et s’approche de la zone du mensonge.
- enfin, vient le troisième et dernier degré : la représentation. Une peinture, un dessin, une sculpture, (ou une photo, si ce cher Platon avait vécu assez longtemps), qui est l’image d’un exemple de lit. Cette image est conditionnée par la qualité technique de l’artiste, son goût, la matière dans lequel il est représenté, le cadrage, le point de vue… il n’est qu’une pâle illusion de l’Idée du lit et s’en éloigne de deux degrés. C’est, selon Platon, un mensonge total.
Pour revenir à nos boîtes de haricots verts, les distributeurs utilisent de façon quasi systématique (et Monoprix le faisait avant) le troisième niveau de représentation. Une photo des haricots est présentée sur le packaging. Celle-ci est toujours largement retouchée, les haricots sont mis en valeur, colorés d’un vert vif que n’auront jamais les haricots. L’annonceur le sait, le photographe le sait, le distributeur le sait, le consommateur le sait.
Simplement, on tente de rendre visuellement agréable un produit sans intérêt esthétique. Il y a là une forme de mensonge sue et acceptée de tous. L’acheteur sait parfaitement que le produit qu’il achète ne ressemble pas à la photographie Avec le nouveau packaging de Monoprix, nous sommes dans une démarche bien différente, et beaucoup plus efficace. Ces packagings font sauter le problème de l’image, en se bornant à du texte. On ne propose plus une illusion de haricots, mais simplement le nom. C’est le consommateur qui va construire l’image mentale des haricots.
Il se réfère donc au Concept, à l’Idée de haricot. Il est dans un rapport élémentaire avec le produit. Le choix de la police et de la couleur augmentent la précision de l’effet. Tout est fait pour que le client puisse se concentrer sur l’idée des haricots. Police très simple, deux couleurs opposées, vert sur blanc. Le choix du vert est à souligner. Contrairement aux habituelles photos, on propose le véritable vert des haricots, un peu sombre, vert bouteille (on pourrait même dire si ça existait « vert haricot »), assez peu sexy, mais toujours plus vrai que n’importe quelle retouche. Le diffuseur n’a pas non plus cherché un nom subtil pour désigner le met (ils auraient pu appeler le produit « délice de jardin » ou « plaisir de la terre »).
L’acheteur est donc placé devant l’essence du haricot. On ne cherche pas à faire s’évader le consommateur, on ne lui vend aucunement « du rêve ». C’est un haricot, dans tout ce qu’il a de haricot. Le packaging est simplement là pour incarner le paradigme haricot : c’est vert, c’est simple. Il ne fait référence à rien d’autre qu’à lui-même, il est parfaitement autonome.
Il vise à supprimer toute étape entre l’idée et la représentation. Ce que le consommateur achète, ce sont des haricots (ou LE Haricot), et non pas un mensonge de haricot. Il faut vraiment insister sur la dimension du texte. Par ce biais, aucune image ou représentation n’est imposée à l’acheteur. On lui propose simplement le concept de haricot. Cet aspect conceptuel, élémentariste, presque aride, est contrebalancé par l’écriteau situé au-dessus, consistant en une phrase légère, une blague, qui, comme nous l’avons dit tout à l’heure, est généralement assez plate (voire nulle, dirons certains).
Blagues contextuelles, pourries, sympa, Carambar….
Pour les haricots très fins, il s’agit de : « se coiffent plus facilement que les extra fins ». Mais rassurons-nous en nous disant que Monoprix aurait pu légender « ils sont portables car ils n’ont pas de fils ». Ces accroches créent une connivence entre Monoprix et le consommateur : elles sont en effet de nature empathique, car sans être un connaisseur on devine que n’importe qui aurait pu les inventer.
On pourrait aller plus loin et dire que n’importe qui (donc le consommateur lui-même) aurait été capable de les faire, sans en éprouver néanmoins la moindre fierté. Dans une ère où le consommateur éprouve un besoin tout particulier d’être rassuré au sujet des produits alimentaires, Monoprix prend donc le contre-pied. Là où d’autres auraient été tentés de réenchanter le produit en le sublimant, Monoprix, lui, le désenchante.
La signature de la campagne, « Non au quotidien quotidien » joue sur cette même tendance : la répétition, outre le fait qu’il s’agisse d’une faute de grammaire est également un pléonasme, parfaitement assumé par la marque dans son orientation différenciative. « quotidien-quotidien fait écho à l’expression synonyme « train-train », qui est également une répétition. On y voit à nouveau le côté disruptif de Monoprix et sa logique « contestataire », non pas vis-à-vis des prix, mais dans l’art de vivre que représente l’acte d’achat. Monoprix aurait pu simplement afficher une signature du type « non à la routine », mais en présentant une phrase redondante qui interpelle de par sa consonance inhabituelle, l’enseigne conserve une fonction phatique forte, dans la même logique que le style graphique de ses nouveaux packagings.
Un aspect graphique rétro
Les nouveaux packagings font directement au Pop’art, courant artistique né au milieu des années 50 et dont la figure la plus connue de grand public à l’échelle internationale est sans conteste Andy Warhol. Une de ses œuvres les plus célèbres est une sérigraphie…de boites de soupes à la tomate. Les artistes du Pop’art considéraient que l’art s’inspirait de la culture populaire et se réappropriaient ses objets. Dans cette même démarche, Monoprix prend un objet populaire et lui donne un aspect culturel, artistique. Le fait que le Pop’art soit encore « à la mode » et se réfère à un mouvement dont les acteurs étaient des intellectuels apporte une plus-value considérable à l’image de la marque. Un élément aurait pu cependant donner naissance à une controverse : avant la sortie de ces nouveaux packagings, un style très similaire était arboré par la marque de sirops DELO, distribuée quelques mois auparavant par Monoprix. On peut cependant s’interroger sur la notion de plagiat, car dans les deux cas, l’inspiration vient avant tout du Pop’art.
Ainsi, Monoprix, avec sa campagne « non au quotidien quotidien », transcende les codes : tout d’abord en ayant un ton disruptif loin de la guerre des prix. Ensuite, en s’inspirant du Pop’art, et en arborant volontairement un côté rétro, voire ringard, la marque accroit son capital sympathie tout en donnant une forte image de marque à des produits MDD, considérés jusqu’à maintenant comme étant de simples me-too. Cette campagne ne s’inscrit pas véritablement dans une démarche nostalgique, car l’enseigne n’évoque à aucun moment son passé. Nous sommes davantage dans le domaine de la néostalgie. A l’instar de la campagne de SFR pour sa Neufbox, il s’agit pour le groupe de croiser les codes et de puiser dans les années 50 et 60 ce qu’elles représentent aujourd’hui aux yeux du consommateur : le rétro, l’insouciance, la culture et la contestation.