Des marques qui nous racontent des histoires…Dans un contexte de crise, ce genre d’affirmation peut sembler de mauvais augure (et de mauvais goût) étant donné le double sens du mot « histoire ». Et pourtant, le storytelling est l’un des facteurs-clé dans le rétablissement de la confiance.
Une histoire, des histoires ?
A premier abord, on peut penser qu’il est nécessaire d’avoir parcouru un long chemin pour avoir une histoire à raconter. Et dans le pire des cas, on peut même penser que l’on n’a rien à raconter. La force du storytelling est justement de parvenir à mettre en récit les différentes composantes et traits saillants d’une marque ou d’une entreprise. En effet, la crise que nous traversons est certes financière mais c’est aussi une crise de sens. Or depuis la nuit des temps, les histoires ont servi à donner du sens aux choses, à l’existence, mais aussi aux phénomènes naturels et surnaturels. Le storytelling n’est pas le seul et unique « remède anti-crise », mais nous nous y intéressons plus particulièrement car il est une des techniques qui mise le plus sur la néostalgie.
Les enjeux sont de taille, notamment lorsque l’on sait que le monde postmoderne (dans lequel nous vivons) est « incrédule aux métarécits», c’est-à-dire aux fables. Car contrairement aux sociétés traditionnelles, la transmission du savoir ne se fait plus par le biais d’histoires. Cette incrédulité, née d’un désenchantement, engendre également une perte des héros qui nous inculquent des valeurs. Malgré cela, les histoires ont toujours l’avantage de « figer » une action à un moment précis et d’apporter une dimension intemporelle aux éléments, ce qui, à une époque où tout va de plus en plus vite, contribue à apaiser les esprits.
Le storytelling se base donc sur le principe que raconter une histoire (ou narrer une histoire déjà existante) a pour avantage non seulement de donner du sens à l’entreprise ou la marque, mais aussi de créer une réassurance du fait de les ancrer dans l’Histoire. Le storyteller va donc mettre en avant les éléments à caractère intemporel et universel (Volksgeist et Weltgeist, l’esprit du peuple et l’esprit du temps) et donc rassurants que l’on peut trouver dans l’histoire d’une marque. Mais pas uniquement !
Coca Cola : les prémices du Storytelling
Raconter des histoires…
On retrouve ainsi de nombreuses marques qui ont mis en avant leur histoire tout en regardant en direction de l’avenir. Coca-Cola aurait, selon Benoit Heilbrunn, a « inventé le storytelling il y a bien longtemps en déposant sa recette originale dans le coffre d’une banque ». La marque a fêté ses 125 ans en mai 2011, et a changé ses packagings pour l’occasion, en mettant en rayon des nouvelles bouteilles, de la même forme que celles de 1915, qui étaient en verre, et dont la légende veut que le concepteur se soit inspiré d’une cabosse de cacao….car il avait confondu coca et cacao en regardant les ingrédients. Ces éléments construisent aujourd’hui la légende du géant américain, car ils font référence à un passé, qui du point de vue des marques est très ancien, et sert donc de caution. En étant rattachée à des éléments culturels tels que le Père Noël, qui était au départ un Santa Claus vêtu de rouge et buvant du Coca-Cola, la marque est désormais associée à un rite connu de tous et a laissé une empreinte conséquente dans l’histoire du 20e siècle. Une empreinte si importante que le géant a connu un échec retentissant avec la sortie du New Coke en 1985, qui l’a forcé à commercialiser à nouveau sa recette originale 3 mois après, en lui ajoutant la dénomination de « classic ».
Coca Cola jouit en effet, à l’instar de Nutella, du statut que Sébastien Durand qualifie de « marque-doudou », ces marques auxquelles les consommateurs sont si attachés que des blind-tests auraient montré une préférence flagrante pour Pepsi sans que cela ait d’influence sur les ventes. Idem pour Nutella, qui n’a absolument pas pâti de la découverte d’une bombe (certes factice) dans un de ses pots en 2009, alors que les conséquences auraient sans doute été catastrophiques pour quasiment n’importe quelle autre marque.
Ou laisser raconter des histoires….plus périlleux
Lorsque l’on accède au statut de marque mythique, surviennent également les ragots et légendes infondées de tous genres. Et lorsque l’on est, comme Coca Cola, l’image même de l’ »américanité » et du capitalisme, tous les délires sont permis. Vous connaissiez déjà la légende sur les paquets de Marlboro, selon laquelle on verrait les trois lettre KKK ainsi qu’un blanc qui pend un noir ?
On lirait même « Horrible Jew » en retournant « Marlboro » (source)
Eh bien chez Coca Cola, on verrait, en effectuant une rotation de 45 degrés vers la gauche…un blanc qui bave/crache sur un noir.
De même, il y aurait une publicité subliminale dans le seigneur des anneaux…
Laisser raconter des histoires, c’est aussi le problème quand on fait durer le suspense. Prenons l’exemple de Duke Nukem Forever, dont le développement a duré 14 ans…..Les attentes les plus folles ont largement le temps de voir le jour, mais quasi-inévitablement, elles ne seront pas comblées….Le perfectionnisme est à doser !
Louis Vuitton : des malles aux guides urbains
Un autre exemple de storytelling construit sur la longévité est celui de Louis Vuitton. Louis Vuitton fabriquait, à l’origine des malles utilisées pour les longs voyages, notamment ceux en bateau. Avec l’avènement de l’automobile, la marque eu l’idée de remplacer peu à peu ces malles par des sacs souples (sans cette transformation, Louis Vuitton serait peut être au mieux dans les manuels d’histoire, mais certainement pas sur les Champs-Elysées).
Et même si aujourd’hui, le cœur de métier reste la production de sacs, les valeurs de la marque sont, quant à elles, essentiellement axées sur l’esprit du voyage. Cela permet non seulement à Louis Vuitton de ne pas se focaliser sur un seul produit, mais également de développer des gammes de produits ayant tous pour univers celui du voyage, à l’image des City Guides ou des lunettes de soleil. Le voyage est donc davantage conçu comme une expérience que comme un déplacement physique et ce qu’il implique. Louis Vuitton n’en oublie pas pour autant son passé, et apporte toujours sa caution historique avec la signature « malletier depuis 1854 », bien que le terme « malletier » ne soit aujourd’hui que peu évocateur. Voir également le cas Michelin
Cependant, nul besoin de s’appeler Coca Cola, Nutella ou encore Louis Vuitton et d’exister depuis des décennies pour avoir une histoire. Le storyteller met en effet en jeu un mécanisme propre à la narration : la « suspension consentie de l’incrédulité ». A suivre !
PS : Je tiens à nouveau à remercier Sebastien Durand, dont l’aide m’a été précieuse dans l’élaboration de cet article.