Août 1998. Histoire de fêter comme il se doit le titre mondial, tu t’adjuges avec ton ami Jean-Jacques des vacances bien méritées. Comme tu ne fais pas partie de cette populace crasse qui se crame gaiement à Antibes, près d’une mer remplie de déchets plastiques et de sténos, tu as choisi de poser tes Mephistos en Loire-Atlantique, non loin de la charmante bourgade de Saint-Jean-de-Boiseau, qui se trouve comme chacun sait près de la départementale 58.
En visitant le lieu de culte local, « la Chapelle de Bethléem« , stupeur ! Goldorak orne les pinacles du monument. Les Japonais, ces êtres petits et fourbes, auraient-ils dérobé au génie médiéval français un motif pieux pour en faire une icône de leur perversité animée ? Le Christ est-il en fait un robot venu d’une planète extraterrestre ?
Blême comme la lune, tu te mets à trembler dans ton pull armor lux (environ 500 francs). Cherchant à dissiper ton malaise, tu contournes la sculpture afin de t’assurer que tu n’es pas en plein delirium tremens. Jean-Jacques, lui, ne fait que ricaner bêtement. Tu détestes quand il fait ça, quand il se montre totalement hermétique à toute forme d’émotion esthétique. En circulant le long de la chapelle, ton effroi ne fait que croître. Outre Goldorak, ce sont Gizmo et le monstre de Gremlins, ainsi qu’un troublant Alien qui ornent les autres pinacles. Et si l’art médiéval breton était la source de toute la culture populaire étrangère à laquelle nous nous soumettons ? Et si tout cela était bien la preuve d’un complot des Illuminati, issus des Templiers, qui cherchent à asservir la population selon différents moyens de propagande, à travers le temps ? Ton toi de 2015 commence alors à s’interroger sur René la Taupe et Kendji Girac.
L’explication est plus drôle mais moins séduisante que le mystère lui-même.
Si le lieu est utilisé depuis les cultes celtiques datant d’avant la conquête romaine, la chapelle en elle-même fut probablement bâtie sous la présente forme à la fin du Moyen-age, et déclarée monument historique dès 1911.
Au début des années 90 débute une campagne de restauration, notamment concernant les pinacles, disparus depuis longtemps. Aucun document ne permettant de savoir ce qu’ils figuraient, l’architecte des bâtiments de France donne carte blanche à un sculpture contemporain, Jean-Louis Boistel. Celui-ci décide d’utiliser une iconographie qui dépasse le champs chrétien, en employant aussi bien le folklore breton (avec la figure de l’Ankou notamment, le serviteur de la Mort), mais aussi l’imagerie pop : c’est ainsi que Goldorak vient jouer le rôle du chevalier saint, que Gizmo et son pendant punk incarne la dualité du bien et du mal chez l’Homme, et que l’Alien symbolise le Léviathan, monstre polysémique que l’on retrouve dans de nombreuses mythologies.
Pas de complot jupitéro-maçonnique, donc, mais une curiosité de plus à voir sur la côte atlantique.
L’année prochaine, Jean-Jacques et toi hésitez entre le Palais Idéal du Facteur Cheval et le Tiger Balm Garden de Hong Kong.
Hyper cordialement,